N° 10 - Decembre/Janvier/Février 2013/2014
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ISSN : 1772-7200
Vodou. D'Afrique en Amérique. C’est dans l’ouest du continent africain, dans l’ancien royaume du Danhomè (actuel Bénin), que tout a commencé. Là, une religion nouvelle a vu le jour, issue de la rencontre des cultures fon et yoruba : le vodou. Même si des récupérations commerciales et touristiques existent de nos jours, le vodou compte toujours de nombreux adeptes au Bénin, au Togo et au Nigeria, et continue d’imprégner la vie quotidienne d’une partie de la population. En Haïti, l’ancienne religion africaine a pris, au fil des générations et d’une histoire mouvementée, une forme nouvelle. Se mêlant très vite au catholicisme des colons, elle a donné naissance à un culte et des croyances spécifiques qui ont façonné l’identité haïtienne et sont, aujourd’hui encore, indissociables de l’île et de ses habitants, mais souvent victimes de préjugés. Dans l’imaginaire populaire, le vodou est fréquemment associé au Sud des États-Unis, et plus particulièrement à la Louisiane. Importée par les Noirs vendus comme esclaves aux propriétaires des plantations, la religion vodou a subi dans ces terres diverses influences et métamorphoses, jusqu’à devenir ce voodoo propre aux États-Unis, dont l’attrait touristique demeure puissant dans une ville comme La Nouvelle-Orléans. C’est peut-être grâce à l’art et à quelques collectionneurs érudits que le grand public a commencé, au cours du XXe siècle, à poser un regard nouveau sur le vodou. Bénéficiant de l’extraordinaire engouement pour les arts dits (à tort peut-être) « premiers », les objets liés au culte vodou nous sont en effet devenus plus familiers. Leur esthétique puissante, leur matérialité intense continuent néanmoins à exercer sur les Occidentaux une curieuse fascination, entre attraction et répulsion. Bien souvent, on associe le candomblé brésilien et la santería cubaine au vodou. Mais ces trois religions sont-elles réellement parentes ? Il apparaît assez vite à qui les étudie qu’elles ont certes en commun une origine africaine et le fait de s’être développées dans un contexte historique et social particulier; mais, tandis que le vodou est issu de la culture fon, le candomblé et la santería sont liés à la culture yoruba et au culte des orisha, entre autres.
La réputation sulfureuse du vodou date des époques précoloniale et coloniale. On a cru le racisme définitivement révoqué, le vocabulaire péjoratif dépassé et la condescendance abandonnée. On a cru que refaire le procès de l’ethnocentrisme propre à ces temps que l’on pensait révolus reviendrait à enfoncer des portes ouvertes. Hélas, non! La fermeture de ces portes est automatique et l’accusation de primitivité revient inlassablement, parfois dans les plus hautes sphères du monde occidental, avec une niaiserie stupéfiante. À partir des années 1920, plusieurs auteurs, en s’appuyant notamment sur l’oeuvre de Durkheim, avaient révélé la dimension proprement religieuse des cultes jusqu’alors réputés «primitifs». Mais il faut encore et toujours recommencer, même si on pensait que les Price-Mars, Herskovits, Métraux, Maupoil, Verger, Bastide, Thompson et quelques autres avaient déjà réhabilité le vodou et mis en pièces les imputations de diablerie et de satanisme dont les missionnaires avaient affublé ces dieux vaincus.
Auteur : Jean-Paul Colleyn
Magazine : Religions & Histoire hors-serie n° 10 Page : 4-11